L’heure est venue de protéger par la loi l’autonomie des organismes communautaires

Lettre ouverte de Hugo Valiquette, président et Caroline Toupin, coordonnatrice, du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA), publié le 9 septembre 2024 dans Le Devoir
Des préjugés tenaces entravent la capacité des organismes communautaires autonomes de fonctionner sainement, et leur autonomie est mise à l’épreuve par des ingérences politiques croissantes. Pourtant, ces acteurs de premier plan dans notre bien-être collectif jouent un rôle vital en soutenant les plus vulnérables et en comblant les lacunes criantes des politiques publiques.

On entend parler de manque de professionnalisme, d’inefficacité, d’incompétence du personnel ou des bénévoles, de mauvaise gouvernance. En réalité, les réussites et les innovations foisonnent dans ce secteur qui, malgré les défis, réussit à garder le cap sur la solidarité et la justice sociale avec des moyens limités. Leurs conseils d’administration, loin d’être des coquilles vides, sont des laboratoires de démocratie participative et d’émancipation citoyenne. Leurs employés, malgré des salaires dérisoires, sont investis dans l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et concitoyennes.

Ce milieu essentiel fait cependant encore l’objet d’opinions préconçues et déconnectées de ce qui se passe véritablement sur le terrain. Et il s’agit plus que de simple médisance : ces préjugés ont une portée néfaste bien tangible sur les organismes, et ce sont les personnes qu’ils soutiennent qui en payent le prix.

C’est le cas, par exemple, de l’organisme Point de Rue, qui œuvre à Trois-Rivières pour les personnes en situation de rupture sociale : il s’est vu imposer un bâillon par le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, qui a conditionné son financement à un contrôle de ses communications.

À Montréal, la Maison Benoît Labre, institution septuagénaire venant en aide aux personnes en situation d’itinérance, fait face à des menaces de relocalisation de son centre de jour sous prétexte de « problèmes de cohabitation » avec les gens du quartier. Ce centre déborde en raison de la crise de l’itinérance, la crise des opioïdes, la crise du logement et la crise du sous-financement des organismes communautaires. Autrement dit : il fait exactement ce pour quoi il reçoit des subventions.

Sur le plan national, la ministre de l’Habitation exigeait récemment la suppression d’une page Web du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) visant à sensibiliser le public aux dysfonctionnements du Tribunal administratif du logement, le TAL, sous peine de lui retirer son financement.

C’est l’autonomie même de ces organismes qui est menacée, soit leur capacité d’intervenir adéquatement auprès des personnes avec leur connaissance des enjeux et leur compétence éprouvée. C’est une atteinte très grave à leur raison d’être. Ces exemples ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Protéger véritablement notre filet social

Face à ces défis, la politique gouvernementale de reconnaissance de l’action communautaire de 2001, dont le fondement premier est le respect de l’autonomie, s’avère aujourd’hui insuffisante. Il est temps d’aller plus loin.

Nous appelons à l’adoption d’une loi robuste qui non seulement protégerait l’autonomie des organismes communautaires, mais leur garantirait aussi les ressources nécessaires pour accomplir pleinement leur mission. On parle ici de financement à la mission récurrent, qui permettrait aux organismes de jouer pleinement leur rôle de transformation sociale et d’émancipation citoyenne.

Cette loi doit reconnaître que l’autonomie des organismes communautaires est une nécessité pour une société juste et résiliente. C’est en protégeant cette autonomie que nous créons un environnement agile, où ils peuvent innover et s’adapter aux besoins changeants de la communauté sans craindre des représailles politiques. Mais cette loi ne doit pas être un carcan supplémentaire créant des structures de surveillance : elle doit représenter un tremplin vers l’innovation sociale et un bouclier contre les ingérences politiques.

Le 22 octobre prochain, lors de la Semaine nationale de l’action communautaire autonome, nous porterons ce message à l’Assemblée nationale⁠. Notre vision : une loi transpartisane, construite en partenariat avec le mouvement communautaire, pour un Québec où la solidarité n’est pas qu’un mot, mais une réalité vécue au quotidien.

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