Mémoire du RQ-ACA pour un futur plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire (PAGAC)

La mission avant tout!

Lettre à M. Jean Boulet
Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Monsieur le ministre,

Le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) est heureux de vous remettre aujourd’hui le fruit de ses réflexions et de son travail collectif dans le cadre de votre consultation sur le futur plan d’action gouvernemental en action communautaire. Après plus de 10 ans à le réclamer et surtout après les années de sous-financement et d’austérité qui affectent toujours les organismes et les gens qu’ils soutiennent, ce chantier suscite beaucoup d’attentes.

Tout comme les services publics et les programmes sociaux, le communautaire est un maillon essentiel du filet social. Les organismes d’action communautaire autonome représentent l’un des moyens collectifs que les citoyennes et citoyens se sont donnés pour favoriser l’exercice de la démocratie et la participation des communautés dans les débats publics, particulièrement chez les personnes marginalisées vivant diverses formes de difficultés. Ils permettent à ces personnes de mettre en place des solutions et des services qui sont adaptées à leurs besoins. Ces organismes ont contribué, au cours des cinquante dernières années, à bâtir le filet social du Québec. Ils ont inspiré de grands modèles québécois tels que les CLSC, les centres de la petite enfance (CPE) et l’aide juridique. Ils ont participé à l’élaboration de lois et des politiques publiques afin de faire advenir une société plus juste, plus équitable, plus inclusive, plus égalitaire, etc. Est-ce que les conjoints.es de même sexe pourraient se marier et constituer des familles sans les luttes des organismes et des personnes LGBTQ+? Aurait-on une loi sur l’équité salariale sans la contribution des groupes de femmes? Pourrait-on briser nos contrats de téléphone cellulaire sans la lutte des associations de consommateurs? Sans compter la réelle différence que nous faisons dans la vie des gens grâce à nos services, nos approches alternatives et nos activités d’éducation populaire.

Toutefois, au cours des dernières années, les organismes d’action communautaire autonome ont subi beaucoup de pression pour jouer un autre rôle, celui de prestataire de service pour l’État et les autres bailleurs de fonds. Ils sont devenus le dernier rempart où les gens peuvent s’adresser lorsqu’ils se butent à des portes fermées et à des répondeurs automatiques dans le réseau public. Dans un contexte de désengagement de l’État en matière sociale, les demandes de soutien ont explosé sans que le financement à la mission ne soit augmenté. Résultat : les organismes, de plus en plus en détresse, ont dû se tourner vers le financement par entente de service et par projet pour combler le manque à gagner pour leur mission.

Le grand problème qu’ils vivent aujourd’hui est que les différents bailleurs de fonds s’intéressent beaucoup plus à leur rôle de prestataire de service qu’à celui d’agent de transformation sociale. Ceux-ci les voient davantage comme une bonne occasion de combler, à moindres coûts, des services pour le réseau public et même comme un prolongement de ceux-ci. D’ailleurs, le commissaire au lobbyisme, dans son dernier rapport, exprime bien sa vision des organismes qu’il assimile à des institutions publiques et parapubliques, parce que, selon lui, « leurs activités se rapprochent davantage des services offerts par l’État ou pour le compte de celui-ci ».

L’autonomie est un point très sensible pour tous les organismes. L’enjeu est crucial et doit primer dans l’élaboration des mesures qui seront identifiées dans le futur plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire. Les organismes en ont assez de se faire traiter comme des sous-traitants bon marché selon une vision strictement utilitaire. Ils sont constitués par et pour les citoyennes et citoyens. Ils appartiennent aux communautés et ils existent en dehors des besoins, des priorités et des orientations des bailleurs de fonds. Leur financement est vital et leur rôle politique doit être encouragé et respecté.

Dans le cadre des consultations, le RQ-ACA a rencontré plusieurs centaines de travailleurs-euses d’organismes d’action communautaire autonome qui ont tous et toutes choisi le communautaire pour les valeurs de justice sociale et parce qu’ils-elles croient en la force des communautés. Ils font confiance au potentiel des gens vivant des difficultés et à leur capacité à reprendre du pouvoir dans leur vie. Ils-elles ont la conviction de faire une vraie différence dans la vie des gens et dans la société.

Ces échanges nous révèlent qu’au delà du financement, nous avons une autonomie, des valeurs et des pratiques à protéger. Nous rejetterons toutes les mesures qui tenteront de nous utiliser à d’autres fins et nous pensons que le gouvernement doit renforcer l’autonomie des organismes et ce, dans une perspective de transformation sociale.

M. le ministre, depuis votre nomination, vous nous avez démontré à maintes reprises votre fine connaissance du tissu communautaire. Vous savez exactement qui nous sommes et le rôle que nous jouons dans la société. Et l’une des manières de reconnaître, de valoriser et de renforcer ce rôle est de consolider et de développer davantage le financement à la mission globale. C’est ce type de financement qui nous permet d’être enracinés dans la communauté, de faire preuve de créativité dans une perspective d’innovation sociale et d’être en phase avec les besoins de la population. Il s’agit, pour tous les organismes, d’un élément incontournable qui devra être priorisé dans le prochain plan d’action gouvernemental car le rattrapage est important, les besoins sont grands et les attentes, vous le constaterez dans nos mémoires, sont immenses.

C’est pourquoi nous vous demandons de faire preuve d’audace et de « voir grand » dans les mesures que vous élaborerez dans le cadre du PAGAC afin de répondre réellement aux besoins des organismes. Tout comme nous nous attendons à ce que le gouvernement accompagne ces mesures d’actions plus larges visant à réaliser la justice sociale, notamment en réinvestissant massivement dans les services publics et les programmes sociaux.

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