COVID-19 : Demande de soutien d’urgence pour les organismes communautaires
Lettre à l’intention du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Monsieur Jean Boulet
Monsieur le ministre,
Nous désirons vous remercier pour votre communiqué du 18 mars 2020 confirmant le maintien du financement accordé aux organismes communautaires. Cette intervention de votre part a permis d’éliminer au moins un des nombreux éléments de stress au sein des organismes, leur permettant de se concentrer davantage sur la gestion de crise et le réaménagement de leurs activités. Nous tenons également à souligner l’excellente collaboration de vos équipes, tant au sein de votre cabinet que dans votre ministère. Votre volonté d’arrimer les grandes consignes entre les ministères nous met en confiance afin de pouvoir résoudre les problèmes que nous observons sur le terrain.
En ce sens, le RQ-QCA a tenu, le 19 mars, une rencontre web extraordinaire qui rassemblait quelques 30 regroupements de l’action communautaire autonome, tous secteurs confondus, dans le but de recenser les difficultés rencontrées et de réfléchir à des modes d’organisation. Dans le cadre de cette rencontre, nous avons identifié plusieurs enjeux et préoccupations que nous souhaitons porter à votre attention, en regard des différentes situations vécues par les organismes communautaires, certains pouvant poursuivre leurs activités et fonctionnement en l’adaptant, alors que d’autres sont dans l’impossibilité de le faire.
L’assouplissement de la reddition de compte
Nous avons appris que plusieurs consignes contradictoires circulent actuellement dans différents programmes concernant le maintien, ou non, des exigences de reddition de compte. Par exemple, concernant la possibilité de reporter, sans pénalité, les assemblées générales annuelles. Même chose pour la gestion des surplus non affectés qui risquent, dans certains cas, de dépasser les limites permises. C’est pourquoi nous demandons que des consignes claires soient émises pour tous les programmes afin d’accorder des délais et d’assouplir les exigences de la reddition de compte de façon à ce que les organismes communautaires puissent se concentrer sur le soutien à la population et soient traités avec équité.
L’harmonisation et l’allègement des consignes
Actuellement, nous remarquons que des conseillers de programmes donnent des consignes à la pièce qui vont parfois en contradiction avec les consignes qui sont discutées entre les regroupements et les ministères. Par exemple, nous savons que certains ministères, organismes gouvernementaux ou administrations régionales du PSOC allongent les délais de reddition de comptes alors que d’autres non. Il nous apparaît essentiel que tous les organismes bénéficient de délais prolongés à l’égard de toutes les procédures administratives, dont la reddition de comptes et les formulaires, quel que soit le programme ou la région de l’organisme.
C’est pourquoi nous demandons que les consignes soient harmonisées et rapidement envoyées à chacun des gestionnaires de programme, tant sur le plan national que régional ainsi qu’à tous les organismes communautaires et ce, afin de les informer adéquatement sur les règles à suivre, mais aussi afin d’éviter des iniquités.
Le maintien et la réduction des délais de versement
De nouvelles ententes de subvention ont été récemment conclues et de nouvelles annonces de rehaussement ont été annoncées dans les derniers mois. Il nous apparaît important de maintenir et de réduire les délais de versement des subventions afin que les organismes ne soient pas confrontés à un manque de liquidité ou que les organismes en attente de rehaussement ou d’un premier financement ne soient pénalisés.
Soutien financier d’urgence
Depuis le début de la crise liée à la COVID-19, les organismes sont plus sollicités qu’à l’habitude alors que le personnel et les bénévoles sont réduits en raison des consignes sanitaires et des enjeux parentaux. C’est pourquoi nous saluons l’annonce du premier ministre du 21 mars dernier de travailler, avec la ministre à la Condition féminine, sur des mesures de soutien d’urgence, notamment pour les ressources en itinérance, en aide alimentaire ou encore pour les ressources en hébergement, pour les femmes.
Toutefois, le manque de ressources, tant matérielles, financières ou humaines, touche l’ensemble des organismes communautaires. C’est le cas, par exemple, des centres de prévention du suicide, des OSBL d’habitation ou encore des organismes de défense des droits des chômeurs et chômeuses, etc. De nombreux organismes communautaires, malgré la fermeture de leurs locaux, ont adapté leurs activités et leur fonctionnement et maintiennent différemment le lien avec la population à travers les interventions téléphoniques. Il est certain que la crise du COVID-19 touchera plus fortement les populations que nous soutenons (Observatoire québécois des inégalités) et que leurs besoins seront grandissants. Beaucoup de mesures créatives sont actuellement en train de se déployer afin de les soutenir.
Qu’ils aient interrompu ou maintenu leurs activités auprès de la population et leur fonctionnement, les organismes font face à un manque de ressources humaines, salariées et bénévoles, au manque de matériel sanitaire adéquat et doivent répondre à de nouveaux besoins, par exemple pour organiser le télétravail lorsque praticable. En tant qu’employeurs responsables, le maintien des salaires des équipes qui sont parfois en isolement ou qui ont des charges parentales est une priorité. Autre conséquence du COVID-19, des organismes peuvent être privés de revenu important en raison, notamment des activités de levée de fonds annulées ou des projets reportés.
De plus, nous appréhendons que tout le personnel du réseau de la santé offrant des services psychosociaux soit dans l’avenir réquisitionné pour la santé physique. Cette situation aurait de grandes répercussions sur les organismes communautaires, notamment ceux qui œuvrent en santé mentale.
C’est pourquoi nous demandons que la mise en place de mesures de soutien financier d’urgence soit accessible à l’ensemble des organismes communautaires.
Ces mesures permettront d’éviter les mises à pied des équipes, de couvrir les frais de réorganisation, de combler les pertes de revenus, de superviser de nouvelles équipes de bénévoles et, si applicable, d’embaucher du personnel supplémentaire afin d’offrir le maximum de soutien à la population.
Services de garde accessibles au communautaire
De plus, nous avons appris que quelques organismes faisant du 24-7 ou du soutien d’urgence bénéficiaient d’un accès aux services de garde d’urgence, ce qui facilite grandement le maintien au travail des équipes et le soutien de la population. Or, ce besoin est présent dans toutes les régions et tous les secteurs de l’action communautaire autonome. Plusieurs organismes travaillant auprès des populations vulnérables ou touchées de plein fouet par les conséquences de cette crise, peuvent être empêchés de fonctionner sans ce soutien. C’est pourquoi nous demandons que les services de garde soient offerts à tous les organismes communautaires qui en feraient la demande.
Accès prioritaire à la main d’œuvre
Plusieurs organismes à qui on demande de rester ouverts expriment le besoin de main-d’œuvre d’urgence pour répondre aux demandes grandissantes (hébergement, banques alimentaires, OSBL d’habitation). Alors que plusieurs employés.es doivent rester à la maison pour isolement ou pour les enfants, ces organismes se retrouvent avec moins de personnel et doivent réduire leurs activités. Plusieurs se retrouvent aussi devant une pénurie de bénévoles, soit parce qu’il s’agit de personnes de plus de 70 ans, ou encore qu’elles sont dans l’impossibilité de poursuivre leur implication. En ce sens, nous demandons également d’avoir accès, en priorité, aux programmes de main-d’œuvre d’Emploi-Québec ainsi qu’au matériel sanitaire nécessaire.
Le manque de bénévoles
Lors de son point de presse du 22 mars, le premier ministre invitait le personnel de l’éducation et des services de garde à s’impliquer dans les organismes communautaires afin de combler le manque de bénévoles. Cette interpellation, bien qu’elle fasse appel à des valeurs de solidarité, risque de semer le chaos dans les organismes. Certains groupes ont besoin de personnel spécialisé. D’autres non. La gestion des bénévoles demande des ressources supplémentaires. D’autant plus que le bénévolat se complexifie en raison des consignes sanitaires. Il n’est donc pas souhaitable que les groupes soient interpellés directement dans un contexte de manque de personnel. Le Réseau de l’action bénévole du Québec (RABQ), en collaboration avec la Fédération des Centres d’action bénévole du Québec (FCABQ), ont transmis leurs recommandations au MTESS afin d’arrimer, par exemple, les fonctionnalités de la plateforme de jumelage jebenevole.ca aux besoins de la situation actuelle. Il est essentiel, dans ce contexte, de coordonner adéquatement la gestion de l’offre en collaboration avec les ressources spécialisées.
Message aux autres bailleurs de fonds
Les organismes communautaires sont aussi soumis à plusieurs exigences de la part d’autres bailleurs de fonds, comme les fondations, les municipalités, le gouvernement fédéral, etc. La plupart d’entre eux offrent du financement par projet et le report de ceux-ci occasionnera plusieurs mises à pied. Nous souhaitons une intervention publique de la part de votre gouvernement invitant ces bailleurs de fonds à faire preuve de souplesse sur le plan du maintien du financement des organismes communautaires ainsi que de la reddition de compte et ce, dans un esprit de solidarité dans ce contexte d’urgence nationale. De plus, il serait pertinent de les inviter, eux aussi, à mettre en place des fonds d’urgence afin de mieux soutenir le travail des organismes communautaires en ce temps de crise.
Message public aux organismes communautaires
Dans ce contexte de crise, les défis sont grands pour les organismes communautaires qui seront de plus en plus sollicités afin d’intervenir auprès des populations vulnérables, et nous pensons que le gouvernement ne peut pas prendre le risque collectif de compromettre leurs services et activités. Les exemples présentés dans cette lettre illustrent la diversité des situations vécues et des problèmes rencontrés par les organismes communautaires représentés par nos membres. Or, jusqu’à présent nous constatons que les communications sont inégales et que les mesures sont annoncées à la pièce sans réelle concertation avec le milieu communautaire. Dans un souci de cohérence gouvernementale, nous croyons qu’il faut éviter de travailler à la pièce en ciblant certains secteurs ou certains types d’organismes, tant pour les enjeux administratifs que pour les mesures financières d’urgence. Votre leadership dans le dossier des organismes communautaires est crucial pour maintenir une cohésion et une vue d’ensemble du milieu communautaire, tout en travaillant de concert avec l’ensemble des ministères ainsi qu’avec les interlocuteurs communautaires concernés.
C’est pourquoi nous vous demandons de reconnaître publiquement, dans le cadre d’un point de presse quotidien, les difficultés vécues par l’ensemble des organismes communautaires et d’annoncer quelles seront les mesures d’urgence mises en place pour les soutenir. Un tel message permettrait d’apaiser le stress et l’anxiété que génère ce climat d’incertitude et de donner du courage et le soutien nécessaire pour leur permettre d’accomplir leur important travail présentement comme dans le futur. Nous vous demandons également d’être consulté pour toutes mesures touchant les organismes communautaires.
Nous savons que le soutien aux organismes communautaires et aux populations vulnérables font partie de vos préoccupations. C’est pourquoi nous faisons appel à vous, en tant que ministre responsable de l’action communautaire, afin que vous lanciez un message clair aux organismes communautaires, à l’appareil gouvernemental, ainsi qu’à la population.
Nous offrons toute notre collaboration et nous demeurons en contact étroit avec les équipes de votre cabinet et ministère.
Veuillez recevoir, monsieur le ministre, nos salutations distinguées.
Marie-Line Audet
Présidente